La cause.
Il vous faut un remontant.
Heureusement, la veille vous avez reçu un couple d'amis, des français des îles, qui vous ont offert une bouteille de ce liquide qui vous laisse baba. Vous en consommez avec modération. Et rarement seul.
Ce soir, c'est différent: vous revenez de l'hospice. Visiter votre grand-mère est devenu une corvée. Un comble.
Cet amour de femme, qui éleva dix enfants et autant de petits enfants, dont votre propre soeur, durant quelques années, ne se rappelle plus ce que sont les sentiments. Vous non plus. Elle a une excuse. Vous pas.
Le plus dur fut pour votre maman qui la vit décliner. Face à une telle tragédie, vous ne prenez conscience de la maladie que lorsque vous êtes obligé de lui répéter vingt fois, votre prénom et qui vous êtes pour elle.
"Mémé: je suis Moi, ton petit fils, le fils de Elle. Tu te rappelles? Tu m'a fait découvrir les plaisirs simples de la vie. Les déjeuners en tribu. Les sorties au jardin. Les silences élogieux. Tu te rappelles?"
Bien sûr que non. Son monde n'est plus. Le néant.
Devant son visage, autrefois si joyeux et expressif, et désormais si morose et figé, vous tentez de comprendre ce qu'est son existence. Quelle tristesse! Une larme pointe qui devient un flot ininterrompu lorsque, d'un geste emprunt de tout l'instinct maternel dont elle ne se départissait jamais, elle vous l'essuie. Sans un sourire. Juste par souvenir.
Incapable du moindre réconfort pour elle, vous finissez par craquer, lui promettez de venir la revoir prochainement. Plusieurs fois déjà, on vous a prévenu de ne pas faire de promesses que vous ne pourrez tenir. C'est plus fort que vous. Comme si ces paroles jetées en l'air pouvaient changer quelques choses. Elles sont votre carapace. Le trou dans lequel vous glissez votre tête.
Une bonne rasade dans votre verre, vous pénétrez dans votre bureau. Les feuilles, magazines, courriers, lettres, livres qui l'envahissent, pêle-mêle, vous renvoient au propre désordre de l'esprit de votre aïeule. Demain vous le rangez! Encore une promesse.
Vous fouillez dans ce capharnaüm. Vous êtes persuadé d'avoir laissé cet appel au don quelque part par ici.
Là.
"Mardi 21 septembre 2010, pour la journée mondiale de la maladie d'Alzheimer, donnez! 850.000 malades rien qu'en France. Mais la maladie n'est pas une fatalité. Grâce à vous la recherche avance."
Au moins votre conscience n'aura pas à rougir!
Alors pourquoi vous sentez vous si mal lorsque vous cachetez l'enveloppe contenant le chèque que vous venez de faire à l'association?
Peut-être pensez-vous à la mère de votre mère, cette pauvre femme, pour qui il est déjà trop tard et qui pourtant a conservé toute son humanité?
Allez! Cul-sec?